Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX

Chapitre V - Fantasmes et Frustrations


Conscient de l’étrangeté du concept d’étudiant pompeux, un chapitre explicatif s’impose. Pour le lecteur lambda, parcourant ces rapides chapitres sans grands liens les uns par rapport aux autres, l’intérêt est atténué ; il sait ce que ces jeunes narcisses décomplexés font, et même comment ils le font, mais il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas non plus qui est l’infâme responsable ayant permis de tels atrocités sociales. De quel droit, après tout, ces jeunes pompeux se permettent-ils d’être aussi libres et émancipés ? Pourquoi ne sont-ils pas comme les autres, à toujours craindre le regard critique, à fuir la marginalité ? Tout simplement parce que trop de gens son comme ça, et qu’il était, à leurs yeux, grand temps que les choses évoluent un peu. Il n’est jamais trop tard pour une révolution, même si elle est futile et qu’elle ne concerne qu’un microcosme social particulièrement illogique et incompréhensible.

Révolution, le terme est certes un peu fort, mais les étudiants pompeux ne manquent pas d’audace. Si l’on cherche à traduire leurs exagérations, on pourrait dire, tout simplement, que ces jeunes insolents assouvissent un fantasme moderne, voire un néo-fantasme.

Ce fantasme insolent s’explique simplement : la vie devient pourrie. De la naissance à la mort, on travaille. Oui alors, vous allez me dire que c’est pareil dans tous les pays, et pour tout le monde (mis à part quelques marginaux et quelques centaines de millions de SDF), mais ce n’est pas une raison pour s’en satisfaire. On nous ressasse sans cesse que l’Etat est souverain, mais je vous le demande, qu’en est-il de l’esprit humain ? N’éprouvez donc aucune honte, aucune rancœur lorsque vous songez à vos longues et douloureuses existences ? Vous passez votre vie, et nous passerons probablement la notre à obéir à un autre homme. Qu’a-t-il de plus que vous ? De l’argent, des capitaux, des actions, des propriétés, une grosse entreprises, une femme sans personnalité, des enfants qui se moquent des pauvres et probablement plusieurs femmes de ménage. En quoi tous ces bonus matériels lui permettent-t-ils de vous gueuler dessus quand vous avez 2.5 minutes de retard ? En rien. Et pourtant, ce beau patron, riche et puissant, vous parle mal, vous critique sans cesse, se sent supérieur aux autres en permanence, vous regarde de haut, avec ces beaux vêtements, sa belle voiture et ses belles chaussures que jamais vous ne parviendrez à vous offrir. Cela vous importune, mais vous pensez surement que si vous l’envoyez balader, il enverra balader votre salaire jusque dans la poche du jeune soumis qui vous aura piqué votre place ; vous avez probablement raison de penser ainsi, les salariés n’ont pas la belle vie ces temps-ci.

Or, nos amis pompeux ne sont ni salariés, ni rien du tout à dire vrai. Ce ne sont que de jeunes hommes et femmes, lasses de constater la misère des uns et la fortune des autres, et surtout dégoûtés par le mépris environnant. Ainsi, ce sont les premiers véritables candidats à l’ostracisme volontaire. Brisant tous les codes sociaux basés sur la fortune personnelle ou familiale, ils osent se comporter en prince et cracher sur tous ceux qui le méritent, sans jamais sentir la nécessité de se justifier, et pire encore, sans jamais avoir l’impression de faire une connerie.

Pourquoi procèdent-ils ainsi ? Probablement parce que c’est drôle de se mettre dans la peau de celui qui méprise, et justement de les mépriser en utilisant les mêmes procédés qu’eux-mêmes utilisent pour mépriser ceux qui sont méprisables. Il n’empêche qu’il y a un problème, et qu’ils se veulent les premiers à vouloir, d’une manière particulièrement originale certes, changer les choses, inverser les règles du jeu.

Pourquoi le patron qui maltraite ne craint-il pas d’être méprisé ? Parce qu’il a le pouvoir de vie et de mort sur des centaines ou sur des milliers de foyers. Pourquoi les centaines de patrons ne craignent-ils pas le courroux des employés ? Parce qu’ils entretiennent une relation de pouvoir entre eux, comme toujours. Mais il suffit d’une fois, d’un infime retournement de situation, d’une prise de contrôle sociale par des pauvres gens à qui la vie n’a pas fait de cadeau pour susciter l’angoisse chez le riche bourgeois qui lui dort si bien dans ses draps de soie.

Ainsi, nous fantasmons. Nous désirons un monde où tout le monde serait libre ; libre de penser ce qu’il souhaite sans craindre la critique sociale, libre de parler comme il le souhaite, libre de se plaindre, libre d’être respecté et de donner du respect en retour. Ce monde, nous l’avons découvert dans les pages de nos livres d’histoire, et nous croyons fondamentalement en une vérité : ce qui a été détruit peut être reconstruit.

Nous ne voulons pas d’une société superficielle, consommatrice et irrespectueuse. Nous voulons juste changer les choses, et caricaturant à l’extrême ce que les néo-tortionnaires sont, et font.

Nous souhaitons la révolution, alors nous ne lésinons pas sur l’audace. Pour que les choses changent, qu’importe l’échelle, il faut que l’on puisse être vu et entendu. Et croyez-moi, une bande de crétins parlant plus fort que tout le monde quand ils disent du mal des autres, ça se remarque. Ainsi, nous conditionnons nos proches et nos camarades d’étude à un avenir nouveau, jamais envisagé auparavant. Nous leur apprenons qu’une profession libérale ne consiste pas en l’achat d’une néo-seigneurie, dans laquelle nous sommes le néo-souverain d’un néo-fief, et néo-vassal de celui qui a un plus gros capital que soit.

Nous nous complaisons dans l’image que nous nous sommes forgés du monde moderne, du « village mondial ». Nous sommes frustrés d’arriver si tard, dans un monde qui prétend ne plus rien avoir à découvrir, puisqu’il a déjà tout fait.

Le grand amour est démodé, les sentiments has-been, et le luxe lassant. Qu’est ce que vous voulez qu’on foute dans un monde pareil nous ? On ne veut pas vivre de notre travail et travailler pour vivre si l’on n’apprend rien, si l’on ne découvre rien, si l’on n’a envie de rien.

L’étudiant pompeux décide alors de noyer ses chagrins dans la luxure. Il va en boîte et frotte avec ostentation son postérieur contre celui d’une danseuse maladroite (plus personne n’ose essayer de bien danser, « ça fait naze »), et parfois, il parvient à en ramener une jusqu’à son humble demeure. Il lui murmure alors tous les maux de la société, et lui apprend à ne pas se laisser dévorer par le grand capital. Il lui explique que si elle continue à se trémousser en boîte ou dans les bars comme elle sait si bien le faire, les hommes normaux oublieront qu’il y a un cerveau dans son corps, et les hommes riches qu’il y a une âme dans son corps. Elle deviendra alors soit un objet sexuel, soit un objet tout court.

Au bout de quelques minutes, il réalise avec tristesse que, d’une part la pauvre demoiselle est bien trop ivre pour intégrer sa diatribe, et d’autre part qu’elle est bien trop bête pour lui accorder le moindre crédit. Elle s’endort donc, après un demi-ébat à demi-érotique, avec un léger goût de vomit, sans penser au lendemain.

L’étudiant pompeux ne croit alors plus en l’amour, juste en la luxure rédemptrice. Il prend du plaisir à éprouver du plaisir, puisqu’on ne connaît plus le bonheur dans notre société. Les hommes heureux devraient être ceux qui sont riches et bien-portants, mais ils ont bien trop peur de devenir pauvres et maladifs pour se permettre d’être heureux. Ainsi, plus rien ne vaut la peine de vivre sur Terre, si ce n’est d’arriver je-ne-sais-où, une fois mort, pour raconter à tout le monde que notre vie n’est faite que de fantasmes et de frustrations.

 

Publié dans Littérature

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