Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX

Introduction

L’instant auquel cela se produit dépend certes d’un nombre incalculable de facteurs externes à nos propres personnes, mais s’il y a une chose que l’on ne saurait nier, c’est notre capacité, du moins pour les hommes et femmes en mesure de se poser les bonnes questions, à trouver une légitimité à sa vie, ou du moins à chercher désespérément des arguments justifiant notre présence sur cette bonne vieille planète. Et aussi fatalement que le nombre de personnes se posant cette fatidique problématique, il arrive souvent que l’on ne soit pas en mesure de se trouver une raison d’être. Chaque être, dans ce cas de figure, reconnaîtra alors tristement l’absence d’au moins un des éléments fondamentaux caractéristique à sa philosophie de la vie. Pour ma part, jouisseur parmi les jouisseurs, le constat était on ne peut plus simple : je me fais chier.

 

L’extase de l’existence, et l’émerveillement quotidien devant plus intelligent que moi, plus rapide que moi, plus sûr que moi ou je ne sais quoi d’autre a cessé de me pousser à avaler mes bouffées d’oxygène. Du passage de l’enfance à l’âge adulte, je ne retiendrai qu’une pluie d’emmerdes, de contraintes et de désagréments que la société maquille adroitement en les regroupant sous le terme de « responsabilités ». Ah oui ! Qu’il est agréable d’être responsable ! Pourrait-il seulement exister quelque chose nous apportant plus de fierté que de gérer avec talent nos responsabilités ? Non, certainement pas. Être un adulte responsable, travailler dur lors de nos longues études pour finir sous-payé, et travailler dur encore après, de peur d’être encore moins bien payé que nous ne le sommes déjà ; voila ce qu’est l’évolution suprême de l’humanité : se taire et en chier.

 

On comprend alors pourquoi on nous conditionne, dès notre plus jeune âge, à désirer ardemment le statut d’Homme adulte et responsable. La culture, l’enseignement, et tous ces facteurs que l’on connaît sans pour autant connaître leur importance, lorsque l’on est encore enfant, façonnent insidieusement notre perception de la réussite, et nous aveugle le temps de rentrer dans cet impitoyable univers que l’on connaît sous le nom de « marché du travail ».

 

Les théories économiques, que l’on apprend dès le lycée, nous maintiennent dans un doux mensonge, comme le liquide amniotique nous laisse rêver, alors que ne nous sommes que des fœtus, à un monde chaleureux et protecteur, nous apportant tous les oligo-éléments nécessaires à notre croissance ainsi qu’à notre survie. Je pense notamment à ces fameuses études intergénérationnelles, comparant la catégorie socioprofessionnelle du père et celle de ses enfants. Oh oui, prendre des exemples en plein milieu des 30 glorieuses, voila une bonne idée. Cela permet, je n’en doute pas, à tous les lycéens de bien comprendre la situation économique dans laquelle ils vont se retrouver, n’est-ce-pas ? Non, évidemment. On nous ment, et on nous désarme. L’éducation nationale ne nous prépare absolument pas à rentrer dans la vie active, et ne nous permet absolument pas de la comprendre. Bien heureux les enfants aux parents consciencieux, qui savent bien avant nous, pauvres ignares, que la vie n’est pas simple, et que l’on peut faire de longues études de droit pour se retrouver dans l’administration nationales, payé comme une merde. Or, je ne veux pas être payé comme une merde, mais à la hauteur de mes compétences.

 

Les compétences ne sont pourtant plus vraiment importantes. Nos tarifs, eux par contre, semblent peser considérablement dans le cadre de notre réussite. Moins on coûte à une entreprise, et plus son propriétaire nous apprécie. Plus le propriétaire nous apprécie, plus on a de chances de ne pas finir, une énième fois pour beaucoup, dans les locaux froids et déprimants de l’ANPE.

 

Si je dis tout ça maintenant, c’est probablement pour qu’une ultime fois, je me retrouve dans le cocon chaud et réconfortant de l’enfance, et qu’un adulte confirmé s’approche de moi, l’air furieux, me hurlent que je n’ai rien compris, et que ma médisance est une insulte à l’éducation, tout comme à notre politique économique actuelle, qui, contre toute attente, favorise les plus démunis, et non les plus riches et les plus puissants.

 

En d’autres termes, il faudrait me convaincre que la droite au pouvoir ne cherche pas à s’en mettre plein les poches pour ensuite disparaître discrètement dans un monde de luxure et de volupté, mais qu’elle cherche au contraire à rétablir les équilibres des années passées. Mais je pense que, peu importe le discours politique que l’on pourrait me tenir, où tous les mots seraient adroitement choisis afin de terminer le dialogue sur le plan de la neutralité, personne ne parviendra jamais à me faire croire que le rapport de force entre les employés et les employeurs n’est pas maitrisé par ces derniers. On peut tout de même exclure les petits patrons, qui payent eux-aussi le prix d’une Nation cherchant à enrichir les plus riches au profit des autres. On sacrifie notre pouvoir d’achat, juste pour une bande de vieillards imbus de leur personne, refusant de céder le moindre centime à de jeunes générations ignares et désinvoltes, comme celle dont je suis issu. La médisance de nos vieux politiciens, je la vois comme le signe d’une gérontocratie xénophobe et autoritaire.

 

Mais revenons-en au point de départ narcissique de toute cette histoire : je me fais chier.

 

Lorsque je fais un rapide calcul, ces temps-ci, de la part que prend le plaisir par rapport aux désagréments dans mon quotidien, je réalise avec chagrin que je suis moins souvent heureux, ou même simplement satisfait, que je ne suis gueulard et mécontent. C’est comme ça, je n’y peux rien, et vous non plus.

Publié dans Littérature

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