Manuel de l'Etudiant Pompeux

Chapitre X –Autodestruction
Cela faisait un moment que l’étudiant pompeux ne s’était pas manifesté. Trop de choses sont arrivées pour qu’il ne le puisse. Un air de changement, de crise et de déprime s’est emparé du monde, depuis quelques mois dirait-on. Soyons honnête, que ce soit en France ou dans les autres pays, l’impression d’un nouvel ordre mondial et de nouveaux codes ne cesse de réapparaitre, nous forçant à retarder l’inévitable, et à faire perdurer l’équilibre précaire des sociétés capitalistes.
Il fut d’ailleurs drôle d’observer le fin changement des comportements. Il y a encore peu de temps, rares étaient ceux parlant ouvertement de cette pseudo crise économico-sociale à venir, tandis qu’aujourd’hui, la réforme est dans tous les cœurs. Même les plus adaptés à notre système contemporain commencent à se plaindre de la manière dont les choses sont organisées, de nos institutions et de nos gouvernants. A vrai dire, je pense qu’une chute de popularité aussi exceptionnellement rapide est un cas quasi unique dans l’histoire de France. Nicolas Sarkozy l’avait dit : « Ensemble, tout devient possible », et effectivement, il a réussit quelque chose qui jusque là nous semblait invraisemblable.
A une moindre échelle, on réalise alors que les hommes et femmes d’aujourd’hui peuvent faire preuve d’une conscience politique et sociale relativement développée. Au départ, croyait-on, comme je l’exprimais dans des chapitres précédents, l’homme des années 60 était meilleur que nous pour ces choses-là ; nous pensions que ceux et celles qui prônaient la jouissance sans entrave et l’irresponsabilité ponctuelle, tout en défendant les droits civiques des femmes et des marginaux possédaient une conscience de la société plus aigue que nous, pauvres contemporains bridés par un système visant à nous rendre aveugle. C’était faux.
J’ai vu et entendu des adultes libéraux critiquer l’éducation nationale, critiquer le gouvernement qu’ils ont élu, et en lequel ils croyaient dur comme fer : j’ai vu ceux qui avaient torts se rallier à nos idéaux. Nous étions peut-être fous de croire que nos moyens pervers de critiquer l’ordre des choses allaient servir, mais au moins, nous ne l’étions pas assez pour avoir tort de croire au changement.
A ce qu’on raconte, il est normal, à vingt ans, de vouloir changer le monde. Ici, c’est autre chose. Marx, il y a bien longtemps, avait prédit l’effondrement des pays capitalistes par eux même, du fait que ce système ne peut être sans fin : il épuise et dégrade trop de choses, matérielles comme humaines. Pour certains, l’heure du renouveau est proche, et pour d’autres, c’est la fin du monde.
Il faut bien se l’admettre, en cas de changement, ce sont majoritairement les inadaptés et les perdants qui sont à la fête. Imaginez les grands patrons aux millions de transactions boursières quasi instantanées, dans lesquelles SON argent circule sans cesse sans qu’il ne puisse plus rien contrôler ; vous seriez heureux vous ? Non, bien évidemment que non.
Mais d’un autre côté, vous pouvez légitimement vous dire que c’est de bonne guerre, étant donné que ces riches entrepreneurs ont contrôlé le monde pendant un sacré bout de temps et qu’ils nous tenaient tous par les couilles il n’y a pas si longtemps encore.
La révolution de 1789, c’était quoi ? Tout simplement la prise du pouvoir par le peuple, et l’avènement de la noblesse et de la royauté, microcosme privilégié trop éloigné des réalités du pays pour convenablement le gouverner. Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes ne rêvent que d’une chose : de gouvernants responsables et conscients de l’immensité de ce que représentent leurs investitures respectives.
C’est alors que l’étudiant jouit sans entrave, lui aussi. Si certains d’entre nous angoissent à l’idée d’obtenir un diplôme qui au final n’aura plus la moindre valeur en cas de changement radical et irréversible, la plupart sont heureux de savoir que l’esprit populaire n’a pas oublié la notion de démocratie.
Alors évidemment, faute d’amis richissimes, de jets privés et de yachts luxueux, la jouissance se fait modeste, mais elle est tout de même bien présente, au fur et à mesure que nos esprit se stabilisent et s’émancipent. Nous grandissons en même temps que le monde change, et nous croyons sincèrement en notre capacité à métamorphoser les choses, à nouveau. Et puis après tout, si les institutions s’effondrent, emportant avec elles la gérontocratie persistante qui squatte le pouvoir depuis un bon moment, pourquoi ne pas tenter notre chance ? Pourquoi ne pas devenir la relève ?
Comme quoi, toute jouissance prend sa source dans un fantasme. Mais à côté de ça, c’est bien connu, tout fantasme, si l’on y croit suffisamment, peut devenir un puissant moteur nous permettant d’atteindre notre objectif. A nous par la suite, nous disons-nous, d’améliorer nos talents oratoires et d’élargir nos cercles d’influence. Finis de prendre les gens pour des cons et de les snober, on veut unir sous une même bannière, et susciter la réflexion dans tous les esprits. Plutôt que de subir, certains vont enfin pouvoir émettre des jugements sur la façon dont la vie se déroule dans notre pays.
C’est tout de même curieux, d’avoir l’impression que tout se casse la gueule autour de sois, mais de ne rien pouvoir faire pour l’empêcher, ni l’accélérer, ni le stopper. On le vit, mais on est passif.
Vu comme ça, on se surprend à penser que ces phénomènes sont cycliques et inévitables, comme le temps qui passe. Lui aussi on le vit, et face à lui, on ne peut rien faire non plus. Ainsi, l’évolution des sociétés humaines seraient incontrôlables ? Trop de facteurs, trop de données pour nos cerveaux ?
Si l’on perd le contrôle de la bourse, il semble logique que l’on ne puisse anticiper les changements mondiaux. De toute manière, les années à venir démontrerons mieux que rien ni personne si Marx était un génie fantastique ou un simple théoricien comme tant d’autres. Les étudiants pompeux penchants naturellement vers la gauche et le marxisme vont suivre tout ça de très près.
D’ailleurs, l’étudiant pompeux ne l’est plus vraiment. Il maintient son style, sa façon de s’exprimer, refuse de s’identifier à sa génération de poufiasses sans cervelles et de branleurs sans saveurs, mais il n’est plus princier comme avant. Festif, curieux, audacieux et flemmard, il est perdu dans une sorte d’expectative, les évènements à venir, quelle qu’en soit leur conclusion, le dépassant largement.
Ainsi, la réflexion est de mise, les dialogues constructifs, les vrais débats et les vrais sujets allant avec. Finis de parler plus fort que les autres, de philosopher sur l’odeur de la pisse de chien : on observe et on commente. Exemple pris au hasard, et qui n’est pas sans importance : le traité de Lisbonne, acte totalitaire s’il en est. On réalise, face à de tels évènements que le gouvernement tout entier nous prend pour des cons. L’éducation civique de nos lycées devrait peut-être s’occuper de palier les lacunes de leurs élèves en matière de liberté fondamentales. Rien ni personne n’est au dessus de la voix du peuple.
Ce qui est drôle d’ailleurs, c’est de voir l’avant-après dans l’investiture Sarkozy. Avant, on avait un petit bonhomme ultra tonique, sur tous les fronts, omniprésent et avide de pouvoir, prêt à tout pour l’obtenir, juste histoire de l’obtenir. Depuis sa victoire, on observe une absence inquiétante, des vacances people, une vie conjugale ultra-médiatisée, des actes quasi monarchiques ; bref, un président qui fait tout, mais alors tout pour paumer sa crédibilité et son investiture.
On peut donc, le temps d’une campagne, berner les foules à coup de belles paroles et de grands idéaux, mettant tout le monde d’accord ; mais il devient très dur de cacher son incompétence lorsque l’on doit réellement, et non plus théoriquement, agir pour son Etat et son peuple.
Au final, on finit par se dire qu’il n’est pas si mal d’observer calmement les mouvements mondiaux, porteur du changement, et de se préparer à les recevoir, après l’ultime étape de la fin du monde dans lequel on vit : son autodestruction.