Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX 

Chapitre IX - Individualisme Omniprésent


L’étudiant pompeux en phase de transition est un peu comme un sociologue paranoïaque. Il voit la perversion partout, le mal partout, l’intérêt personnel partout. Il ne cesse pourtant de rechercher une forme utopique de sérénité, une élévation du débat, ainsi qu’un sens aiguisé de la justesse et du bon en général.

Pour les facultés, ces temps-ci, c’est l’heure de gloire. Alors qu’il y a encore quelques semaines, les étudiants prenaient le rythme, travaillaient dur et pensaient à leur avenir, un lyrisme national s’est emparé de leur esprit, les poussant à protéger leurs établissements, leurs secondes maisons. Ils disent non, à la professionnalisation de leur enseignement, et oui à la grève revendicatrice.

Qu’ils aient tort ou raison est un fait que je ne suis pas en mesure de juger, mais lorsque l’on observe ces microcosmes estudiantins avec un tant soit peu de recul, on constate avec le plus grand effroi une bien triste vérité. En effet, quelle que soit leur courant de pensée ou leur idéologie, lorsque les étudiants s’expriment, c’est avant tout pour s’entendre parler avec un micro dans les mains.

A première vue, rien d’anormal. Après tout, il est aussi rare pour eux que pour n’importe qui d’avoir à la fois l’occasion de s’exprimer librement et l’auditoire qui va avec. N’importe qui, me direz-vous, et surement moi le premier, serait très excité à l’idée de se la jouer « homme médiatisé ».

Or, si l’on regarde d’encore plus près, on réalise alors qu’au final, l’intégralité de leurs prodigieux discours n’est ni revendicatrice, ni engagée, ni même simplement honnête. Ils ne cherchent, au final, qu’à remporter les joutes verbales ponctuant les pseudo-débats étudiants.

Et pourtant, ces pathétiques orateurs, du moins ceux que j’ai pu observer dans le feu de l’action, fantasment encore aujourd’hui, sur ces jeunes hommes et femmes, volontaires et unis par des idéaux forts transcendant leurs réussites comme leurs propres personnes, et qui dans les années 60 ont fait trembler la France. On se rappelle de sublimes photos, aussi esthétiques sur le fond que sur la forme, mettant en avant des protagonistes aux visages rayonnants, qui n’hésitent devant rien, qui osent tout, parce qu’ils savent, au plus profond de leur être, que malgré tout ce qu’on leur dira, ce qui est juste dans leur esprit le demeurera éternellement.

Cette perpétuelle image de la jeunesse actrice et militante est aujourd’hui corrompue par une société inadaptée à la solidarité. La discorde est à l’ordre du jour de toutes les assemblées étudiantes.

Son origine est simple.

Chaque étudiant ayant suffisamment d’audace pour s’exprimer publiquement veut SON heure de gloire à lui. Certains parfois sont même prêt à revenir sur leurs convictions les plus profondes, uniquement pour avoir le plaisir, ne serait-ce qu’une fois au cours de leurs existences, de jouir d’une position de supériorité par rapport à une autre personne, et de pouvoir jouir de ce statut au moment rêvé où des centaines de témoins sont là pour intellectualiser tous au même moment son potentiel phénoménal. Aussi pompeux que soit notre groupe, nous avons tout de même suffisamment d’estime vis-à-vis de nous pour être sincère, lorsque l’heure n’est plus à la parodie.

Ainsi, nous avons détesté ces mouvements, nous avons détesté les étudiants qui les organisaient, et nous avons été affligés par la naïveté de ceux qui les écoutent, et parfois même les croient.

Comment pouvons-nous rétablir la vérité dans un monde où tout le monde s’en fout ? Certaines personnes ayant pris la parole ont revisité l’histoire économique et sociale de notre pays, comparant des périodes incomparables, donnant de fausses opinions à d’illustres personnages. Cela nous amusait, au départ ; mais nous avons cessé de rire quand nous avons constaté que personne, dans toute cette masse d’élèves, censée véhiculer une certaine culture, et de nombreuses connaissances, n’a su réfuter les thèses bancales des orateurs. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils étaient incapables de savoir si l’homme en question était dans le vrai ou non. Et bien entendu, plutôt que de prendre le risque de dire une grosse connerie, on préfère se taire. C’est toujours pareil, l’égo passe avant tout, et l’on ne veut plus prendre le risque de passer pour un con.

Je n’en croyais pas mes yeux. Nous étions sûrs que les étudiants pompeux que nous incarnions possédaient le summum de la suffisance, alors qu’en fait, d’autres groupes se noyaient dans une marre visqueuse de flatteries grossières, aussi puante que leur précieux malodorant, perceptible dans chacun de leurs mots. Ignares, nombreux, incompétents et désagréables, voila ce qu’étaient ces abrutis de juristes. A chaque intervention, un sourire satisfait se greffait sur leurs visages ingrats. Ils n’étaient pas là pour défendre les facultés, mais pour convaincre les autres étudiants de soutenir leur professionnalisation. Leur objectif promettait d’être plus facile à réaliser que prévu.

Je suis discrètement allé parler à celui qui osait sortir les conneries les plus invraisemblables, et je lui ai demandé s’il était satisfait d’abreuver l’amphithéâtre tout entier de mensonges surréalistes et de théories infondées sur l’avenir de la France. L’homme m’a sourit, et m’a dit que ce n’était pas parce que j’étais en désaccord avec lui qu’il était pour autant affabulateur.

Tant de confiance en l’inculture des autres est une erreur. Si notre groupe avait été complet ce jour là, les choses auraient été bien différentes ; mais beaucoup d’entre nous se désintéressent singulièrement de la polémique rébarbative qui revient systématiquement dès que l’on aborde un thème économico-politique. Ainsi, nous n’étions que deux à suivre les débats, et nous étions, il faut bien l’avouer, plus spectateur qu’autre chose.

Alors au final, toute cette histoire fut d’un inintérêt formidable. Les discussions étudiantes étaient sans fins et sans raisons, le gouvernement était unanime et n’avait pas l’intention de réviser sa politique, les enseignants étaient consternés par le foutoir s’installant petit à petit dans leurs prestigieux établissements et les étudiants étaient majoritairement satisfaits d’avoir eu trois semaines de vacances (ou plus) en plein milieu de leur premier semestre. Une réussite pour qui ? Eh bien pour les gens qui manifestent dans les rues de Paris, vêtus de cachemire et de vison, et qui répondent aux journalistes « nous vivons dans un pays de fascistes de gauche ! ». Ces gens de la droite aisée s’émancipent de plus en plus, et ne loupent aucune occasion de gueuler sur les pauvres et les prolétaires.

Oui, ce sont eux, les grands vainqueurs de ce combo de grèves. Les chemineaux, les juristes, les étudiants, les enseignants et tous ceux qui les ont soutenu n’auront au final servi qu’à une chose : conforter les opinions des plus sectaires et des plus réactionnaires des français.

Je ne suis pas du genre à commenter les revendications des hommes et des femmes, mais je peux sans conteste affirmer que dans le cadre des mouvements étudiants, je n’avais jamais rien vu d’aussi mal fichu, d’aussi incertains et surtout d’aussi désagréables à suivre.

Personne n’était jamais d’accord, chacun voulait gueuler sur quelqu’un, ou quelque chose. On cherchait désespérément un responsable à toute cette merde, mais ce coup-là, même Nicolas Sarkozy, pourtant sans cesse critiqué pour tout et n’importe quoi, n’a pas suffit à catalyser la fougue des jeunes inquiets que nous sommes.

Certains, peut-être plus sages et clairvoyants que les autres, ont accusé avant tout notre système économique, le capitalisme. Le rapprochement des USA et de notre pays indique d’ailleurs clairement que nous ne sommes pas prêts d’en sortir, pour le pire comme pour le meilleur.

L’individualisme pourrie trop la société. On peut le parodier, d’une manière pompeuse, ou le critiquer d’une manière cynique, il n’empêche que l’essentiel des individualistes le vivent très bien, et apprécient l’idée de ne penser qu’à eux et jamais aux autres, de rechercher leurs propres intérêts avant l’intérêt général.

Sans lui, peut-être les mouvements étudiants auraient connu un futur plus glorieux que sa lente et ridicule corrosion. Tout le monde se désolidarise, car tout le monde en a marre des tensions sou jacentes aux origines inconnues, de cette hostilité permanente lorsque l’on doit défendre son opinion. Au final, le narcissisme est accepté par l’étudiant pompeux lorsqu’il est caricatural, drôle et incisif. Nous avons ris de nos propres attitudes, tant elle mettait sous les projecteurs la stupidité et la préciosité de certaines de nos connaissances. Nous avons compris, suite à tout ce foutoir, que si nous avions été réellement pompeux, nous nous serions haïs.

Cela dit, étrangement, après cette absence de cours et cette rencontre avec les individualistes corrupteurs de droite, notre mouvement qui se tassait de jour en jour semble renaître de ses cendres. Nous avons découvert le véritable ennemi moderne, encore plus flagrant qu’auparavant. Nous avons des cibles, narcissiques, riches, puissantes et grande gueules : nous sommes comblés. Rien n’est plus agréable pour nous, petit pervers moyennement friqués et audacieux, que de susciter aux riches bourgeois l’impression d’être membre d’une sphère plus que séduisante, dans laquelle ils ne parviendront jamais à rentrer. Si nous devons être plus infâmes et détestables qu’avant pour tuer nos rivaux, nous le serons. Nous nous amusons à scander que, comme nos précurseurs des années 60, peu importe ce que l’on pourra nous dire, nous savons que NOUS avons raisons, et que l’individualisme, marqué comme masqué, est indéniablement omniprésent, pour le pire comme pour le meilleur.

 

Publié dans Littérature

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