Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX

Chapitre VIII - Rétrospective

Vingt ans après ma naissance, j’ai découvert l’omniprésence du « bof » dans ma vie. En effet, j’ai compris dans la solitude, que lorsque je n’étais pas heureux, je n’étais pas forcément malheureux ; je me sentais juste bof. Le bof est probablement un état d’esprit transitoire, qui ne s’altère qu’avec l’apparition extérieure d’un élément positif ou négatif. C’est ainsi que l’on devient heureux ou malheureux.
Pour ma part, je suis resté bof pendant un sacré bout de temps. Mais ça, une fois de plus, je ne l’ai réalisé que lorsque j’étais heureux. Avant, j’étais intimement persuadé d’aller mal, puisque j’étais sûr de ne pas aller bien.

Lorsque l’on pense aller mal, on cherche logiquement à aller mieux. En fonction des personnalités et des caractères, l’Homme réussit plus ou moins bien à découvrir des procédés lui permettant, au plus d’aller bien, au moins d’aller mieux. Il existe aussi de rares cas d’incompétence, comme le miens, trouvant d’invraisemblables quantités de procédés qui, au final, ne parviennent qu’à créer une illusion temporelle donnant la sensation, absolument fictive, d’aller on ne peut mieux.

J’ai donc erré, une bonne partie de mon existence, perdu quelque part entre l’optimisme et le pessimisme, entre le bien-être et le mal-être, entre la déprime et le narcissisme, entre l’amour et la haine. J’oscillais d’un extrême à l’autre, sans répit, avec l’intime conviction, à chaque fois, d’avoir trouvé ma façon d’être, ma sérénité, mon bonheur à moi. On appelle cela, si mes souvenirs sont bons, l’adolescence.
Il va sans dire que cette période fut absolument détestable pour l’étudiant pompeux que j’allais devenir. Déjà pris de véhémence dans les bons jours et de pulsions suicidaires dans les mauvais, mon avenir était tout tracé : je m’en allais dans la catégorie des radicaux, des extrémistes, de ceux qui l’ouvrent plus fort que tous les autres, et qui y croient plus fort que tous les autres.

Je le sais et je l’admets, l’extrémisme m’a toujours fasciné. De nature mitigée, je restais transi d’admiration face aux hommes et femmes capable de détruire, à la force de leur croyance, tout ce qui se mettait en travers de leur route. Au-delà de la politique et de la religion, j’avais constaté très tôt que radicaliser sa pensée, c’était avant tout la rendre plus puissante, plus accessible, et donc plus fédératrice.

Conclusion d’un adolescent : être radical, c’est faire converger les autres vers sois, les rassembler sous une conception que l’on crée, et à laquelle ils adhèrent tous. Vu comme ça, quel petit audacieux se refuserait le luxe de devenir l’icône d’une façon d’être, d’une idéologie, ou de je-ne-sais-quoi ? A mes yeux, aucun, et croyez-moi, je ne me suis pas privé.
Il m’aura fallu une enfance d’expérimentations pour réaliser, trop tard d’après certains, mais de mon point de vue largement à temps, quel l’extrémisme est une erreur. J’ai réalisé, à la fin de mes années lycée, qu’il n’était pas suffisant de croire en une solution unique à un problème donné.

J’ai alors compris pourquoi le débat politique était devenu futile, pourquoi la croyance en dieu et en la négation des autres étaient une idiotie, pourquoi l’Homme n’écoute plus les autres parler, pourquoi les médias façonnent notre façon de penser et surtout, j’ai compris pourquoi plus personne n’est heureux dans notre société déréglée.
En fait, lorsque l’on observe les comportements des français, et probablement celui des habitants des autres pays du Nord capitalisés, on réalise qu’une image de la success-story se forme naturellement dans l’esprit de la Nation. Cette image, c’est celle d’un homme de droite sûr de lui, persuadé de sa réussite comme du bien-fondé de sa vision du monde. Il réussit et en plus demeure perpétuellement en accord avec sa façon de voir les choses. Il offre du travail à quelques salariés en fondant sa petite entreprise, il contribue à la croissance, il rend sa famille heureuse et la met pour toujours à l’abri du besoin. Sa femme est aussi insipide que sa décoration, ses enfants si parfaits en apparence sont en vérité de vrais démons respectés par tous dans leur collège.
Cet homme s’est battu pour en arriver là. Alors que personne ne croyait en sa réussite, il a su ne jamais perdre espoir, ignorer ses détracteurs et frapper de plein fouets le marché là où il y avait une ouverture. Il ne s’est jamais posé trop de questions, considérait toujours les enseignements lui étant desservis comme véridiques, et croyait dur comme fer en le rétablissement de la stabilité socio-économique de son pays.

Cet homme a fait des études courtes ; son succès, il ne le doit qu’à sa volonté et à ses compétences. Seul son mérite lui a permis de gravir les marches de la hiérarchie professionnelle pour devenir, à 30/35 ans, son propre patron. Cet homme est un extrémiste libéral, qui ne perd pas de temps à se poser trop de questions, qui laisse son Etat s’occuper des grands problèmes de société et qui se contente d’écouter les médias à sa disposition, continuant encore aujourd’hui de conditionner sa vision des choses, de lui lobotomiser l’esprit. Ainsi, pendant encore des années, cet homme se réveillera heureux, dans un monde faussement stable, où l’avenir sourit à tout ceux prêt à se lever tôt.
Le jeune cadre dynamique hante nos esprits, comme LA solution ultime à tous nos problèmes. Si l’on est comme lui, si l’on pense comme lui, alors tout ira bien. Il ne faut surtout pas se poser trop de questions, et il faut suivre l’avis des impartiaux experts à la tête de l’Etat.
Vous l’avez probablement réalisé par vous-même de toute manière : aujourd’hui, si l’on veut être en phase avec le monde et réussir heureux, il faut être un intégriste du capitalisme. Il faut aussi être un leader, actif et fédérateur. Les mitigés, les penseurs et les hommes de gauche sont les ultimes relans d’une conception archaïque de la vie en société. Mystérieusement, sans que je parvienne à me l’expliquer, toute mon enfance peut témoigner de notre conditionnement à cette pensée unique. J’ai vu, vécu, et j’ai même été ce que je relate. On méprise les faibles, on tente d’être chef de groupe, on impose sa vision des choses et on agresse tout opposant. Lorsque l’on ne parvient pas à devenir leader en usant de notre force ou de notre intellect, on ruse. Les coups dans le dos sont l’apanage des fouteurs de merde si doués dans la perversion que l’on ne remonte jamais jusqu’à eux.
L’enfance de vos progénitures passe donc par l’apprentissage de la loi de la jungle. Leurs lectures, les films et la télévision contribuent grandement à l’émancipation de la violence et du consumérisme dans leur génération.

J’ai été piégé aussi. Je suis devenu tour à tour despote idolâtré, dictateur déchu haï, « étudiant lambda passe-partout », humoriste fêtard et étudiant pompeux. Dans tous les cas, ma façon d’être et ma façon de pensée étaient radicales, fermes, intangibles et fausses. On ne peut pas réellement espérer être heureux en étant radical ; ou du moins, je n’ai jamais réussis à croire longtemps en cette façon d’être exagérée.

Quoiqu’il en soit, que vous plongiez dans le mimétisme social, ou que deveniez extrêmement réagissant face à ce dernier, vous serez toujours perdant dans le sens où vous sombrerez, quoiqu’il en soit, dans une façon d’être excessive qui n’aura rien de naturel. Si ce n’est pas le cas, vous êtes con.
Je sors de mes pensées et me replonge dans le cours de droit constitutionnel. Je tente de garder en mémoire mes dernières pensées ; je suis ravi d’avoir compris que je n’étais qu’une victime de notre société empoisonnée, comme beaucoup d’autres. Vouloir contrer l’extrémisme en devenant soi-même radical, c’est stupide. Je ne suis personne, après tout, pour prétendre savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il est même possible qu’au final, lorsque l’un des deux axes, à savoir la gauche ou la droite, aura fait l’erreur de trop, que je me retrouve dans le camp des perdants, qui auront tort sur tout, du début à la fin. Il est aussi possible qu’à force de me poser trop de questions sur tout et n’importe quoi, je me détache de ces deux courants principaux, et ne me retrouve plus nulle part.
Je me sens léger.
Je n’aurais jamais cru, moi qui étais pourtant persuadé de ne jamais me faire avoir comme les autres, réaliser un jour que c’était faire le jeu de notre société malade que d’être un étudiant pompeux. A quoi bon stigmatiser les dérèglements sociaux ? Au final, nous ne serons qu’une bande de marginaux de plus, qui sera peut-être un jour le nouveau spécimen de nos élus. Nous leur servirons d’exemple pour démontrer que la société va mal, et qu’il faut réagir. Nous nous sommes beaucoup trop opposés à l’évolution du monde, et sommes devenus inadaptés, incapables de devenir de jeunes cadres dynamiques. Cette hypothèse me répugne.
Je n’ose pas encore aborder mes changements d’opinion avec mes amis pompeux. Ils ont l’air si heureux d’être détachés de tous ces codes sociaux absurdes. Certains se prennent même pour les nouveaux Robin des Bois, qui prennent les privilèges de la riche élite et les retournent contre elle. D’autres s’amusent simplement de cette liberté sans limite que leur offre cette nouvelle philosophie de la vie.

Mais dans tout ce monde, je ne ressens plus la vigueur des premières heures, des premiers constats. Je ne vois plus la volonté revendicatrice des fondateurs de l’étudiant pompeux. Il ne reste plus qu’une attitude, symbolisant notre appartenance au groupe des « marginaux », ou pour certains, des « jeunes intellectuels dans le vent ». On devient cools, drôles, à la mode. On cesse d’avoir des choses à dire. On ne sert plus à rien, mais on reste quand même, puisque nous sommes devenus un idéal, et que nous suscitons l’envie, voir la jalousie.
« Et voila, au final, on sert le radicalisme intellectuel, c’est tout… ». J’ai glissé cette phrase à Bob, qui me regarde, d’abord surprit par mon manque de panache. Quelques secondes s’écoulent, le temps pour lui de recracher la fumée de sa cigarette. Enfin, une réponse arrive. « Au final, on a permis à des gens qui passent inaperçus de s’investir à fond dans un truc, et ce truc leur a permis d’exister aux yeux de toute la fac. On sert aussi le besoin de reconnaissance des autres ». J’étais d’accord, il le savait déjà.

En deux phrases, nous venions de réaliser chacun de notre côté que nous n’étions pas le seul à avoir compris la futilité de tout ce mouvement. Ce n’est même pas un mouvement après tout, juste un délire entre pote qui a pris plus d’ampleur qu’il n’aurait du.
Je lui tapais chaleureusement l’épaule, lui souhaitait une bonne après-midi, et m’en allait, serein, rejoindre la nouvelle femme de ma vie.

Publié dans Littérature

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