Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX

Chapitre VII - Désillusion

S’il y a une chose que mes études m’ont apprise, c’est que la médisance gratuite peut parfois s’avérer être payante. Essayez de vous comporter avec un bourgeois snobinard de la même manière que lui se comporte avec vous, vous verrez. En revanche, jamais elles ne parvinrent à m’enseigner la modération.

Dans le cadre de nos études supérieures, être modéré, c’est être émasculé.

Pour être pris au sérieux, il faut croire en ce que l’on dit. On ne peut tolérer d’autres opinions que les nôtres, car c’est faire preuve de faiblesse, et cela brise toute la crédibilité de nos argumentaires.

Le droit est une secte, composée à la fois de gens ni bon ni mauvais, soi-disant techniciens, et de moralistes, croyant en la vertueuse justice de la Loi. On y trouve aussi des pragmatiques, que l’on nomme positivistes. Pour eux, rien n’existe au dessus du droit écrit, rien d’autre ne gère les troupeaux humains et rien ne les guide vers la vie en collectivité idéale. Ces-derniers ont pour ennemis jurés les ardents défendeurs du droit naturel, ou du jusnaturalism, comme certains pompeux le disent si bien. Ceux-là prônent l’existence de lois et de règles universelles, non-écrites mais pourtant intégrées par tous.

Et dans tout ce petit monde, rares sont les mitigés, rares sont ceux qui ne savent pas, et encore plus rares sont ceux qui n’en ont strictement rien à foutre. Tout le monde prend parti, tout le monde s’oppose, et s’attaque à coup de précieux arguments, affichant de fiers sourires lorsqu’ils citent un grand auteur que personne d’autre qu’eux ne connait.

Pas d’alliés en droit, juste des rivaux. Les faibles qui s’assemblent pour être plus forts ne méritent pas une once de respect ; ceux qui ne comprennent rien sont des parasites ; ceux qui ne se rapprochent pas du bon européen middle-class embourgeoisé sont éliminés d’office par les étudiants. Les laids, les incultes, les ignares et les pauvres sont très mal vus dès leurs premiers jours.

Très rapidement, des groupes se forment, et tout le monde se jauge. Ils veulent tous ardemment savoir qui d’entre eux est le plus riche, le plus drôle, le plus fêtard, le plus bosseur, le plus « fashion »… C’est un monde où l’on idolâtre celui qui possède ce que l’on désire, et où l’on méprise celui qui désire ce que l’on possède.

Notre faculté n’est probablement pas comme toutes les autres, et il est fort probable que nos expériences ne soient pas les mêmes qu’ailleurs. Je l’espère réellement. Mais n’allez pas vous imaginer un monde où tout se dit clairement, et où l’on comprend immédiatement tout ce qui se passe. Non, ce serait trop honnête, trop…populaire. Ici, on se ment, on se sourit, on se côtoie, on s’apprécie, et l’on médit dès que l’on est dans notre cercle de confiance. Rien ne se voit, il faut donc être prudent. Un simple faux pas peut vous faire chuter de l’idole de votre promotion au looser à qui personne n’accepte de parler. On apprend donc bien plus qu’à maîtriser un code juridique ; on apprend à se positionner socialement, à apprécier qui nous dépasse, à négliger qui ne nous égale pas. Le respect ne se donne pas, il se prend.

Dans cette jungle sans pitié, l’étudiant pompeux évolue comme un poisson dans l’eau. Brisant tous les codes établis, toujours à contre-courant, prêt à cracher un venin mortel à quiconque s’attaque à son égo, il est au sommet de la chaîne estudiantine-alimentaire.

Qu’il est difficile pour nous de se passer de ce statut. Qu’il est inconvenant d’envisager une vie où l’on se noie dans la masse. Cette narcissique facilité n’est probablement pas la bonne façon de procéder, et pourtant, haïr tout le monde et s’aimer plus que quiconque est la meilleure thérapie qui existe. On se réveille heureux, on se couche heureux, on de drogue heureux. Pas de désarroi social, pas de déprime affective ; le monde entier nous aime puisque nous sommes des êtres exceptionnels. Et étrangement, si l’on y croit suffisamment fort et que l’on se prête au jeu, on arrive réellement à devenir ce que l’on désirait : un individu connu et apprécié de tous, tout en restant craint et respecté.

Il n’y eu qu’une personne qui ne tomba pas dans le panneau, et qui lut, derrière cette mascarade caricaturale une profonde détresse.

Quand elle m’apparut, je la savais déjà acerbe, glaciale avec qui la dérange, pleine de répartie et incroyablement cultivée. Son doux visage cachait merveilleusement bien l’esprit critique dont elle savait faire preuve. On l’aurait presque dit innocente et naïve.

Son sourire radieux illuminait ma journée, et son regard perçant me donnait l’impression d’être nu dans une pièce remplie d’observateurs pervers. Nous sommes partis nous promener dans un parc, histoire de faire doucement connaissance. Quelle étrange façon de procéder j’avais choisis : sortir avec la fille qui me remettait toujours à ma place, qui m’envoyait promener comme un gosse à chaque fois que j’étais provocateur ou insolent.

Je ne sais pas pourquoi, mais se faire légitimement envoyer chier peut être sécurisant.

Je m’amusais des regards affligés qu’elle me jetait lorsque j’éclatais de rire suite à ses sermons. Au bout de quelques rixes, j’osais enfin l’inviter un après-midi entier avec moi. Contre toute attente, la jeune femme sourie et accepta avec un réel entrain. Mon cœur battait vite ce jour-là. Je ne la connaissais pratiquement pas, et je mourrais d’envie de la découvrir mieux que quiconque.

Nous parlâmes donc longuement, cette journée là. Après le parc vint le bar, puis les magasins, puis encore le bar, puis le restaurant, puis mon appartement. Le temps passait à une vitesse saisissante, et je ne comptais plus les minutes entières passées à secrètement contempler son visage. J’étais en paix, avec une femme qui aimait vivre, et qui y parvenait sans véhémence, juste en se contentant de ce qui lui plaît, et en ignorant ce qui lui déplaît. Elle était tout sauf désagréable à regarder, et pourtant cette ravissante étudiante passait inaperçue, noyée par la masse de « catins vulgaires et allumeuses ». Elle prenait plaisir, comme moi, à lire, à écouter du jazz et de la musique classique ; elle s’intéressait à l’actualité, s’avérait amatrice, comme beaucoup d’entre nous, de mangas et d’animes, ces œuvres injustement descendus par journalistes et politiciens n’y voyant que violence gratuite et perversion. Je leur signale au passage, si jamais ils lisent un jour ces quelques lignes, qu’il existe dans ces arts un incroyable soucis du détail, une inventivité stupéfiante, une esthétique indéniable et parfois même une poésie remarquablement émouvante. Oui messieurs, il existe, derrière les séries commerciales touchant l’occident, une immense diversité de styles au sein de laquelle vous trouverez de véritables chef-d’œuvre artistiques et scénaristiques.

Elle et moi nous entendions donc merveilleusement bien. Pourtant, elle était si différente de mes compagnies habituelles. Je passais du quotidien dialogue pompeux et révolté à la douce voix de cette charmante compagnie, me faisant découvrir de nouvelles lectures, me parlant de l’esthétique de tel ou tel arbre, du ridicule des jeunes sportives rondouillardes faisant de faux joggings autour de nous. Elle discutait de tout et de rien, du beau comme du laid, du honteux comme du gratifiant. Elle ne cachait pas grand-chose et assumait le moindre de ses actes. Elle laissait tout le monde tranquille, tant qu’on la laissait elle-même en paix. Elle ne cherchait jamais à provoquer, bien que son intelligence lui eu permis d’être une abominable étudiante pompeuse détruisant tout sur son passage. Plus jeune, elle était pourtant, il me semble, bien plus sage que moi.

Au fil des heures, je découvrais une nouvelle conception de la vie ; une façon presque contemplative de voir les choses défiler, sans jamais critiquer une manipulation ou un quelconque conditionnement massif, mais plutôt en critiquant les individus pour avoir fait d’eux ce qu’ils sont devenus. Elle n’aimait pas plus les jeunes branleurs toisant tous leurs inférieurs que nous, mais son sentiment se rapprochait plus de la pitié que de la colère. J’étais transporté dans un monde reposant, je réalisais que je pouvais me satisfaire de ma vie pour ce qu’elle est, sans avoir nécessairement besoin de courir après gloire et fortune.

Arrivé à mon appartement, nous étions tous les deux calmes et reposés. La journée ensoleillée nous permis d’agréables promenades, et une fois le ventre plein, nous étions incapables de faire preuve du moindre dynamisme. Vautré sur le canapé, nous avons regardé Certains l’aiment chaud, une comédie américaine classique, où aucune attention particulière n’est nécessaire. Il était trop tard pour que mon invité rentre chez elle à ce moment là. Persuadé que je venais de rencontrer un être exceptionnel, je lui prenais la main, l’embrassait, et quelques instants plus tard, nous nous endormions lentement, l’un contre l’autre, sereins et heureux.

Rien, je ne trouvais absolument rien à reprocher à ma nouvelle petite amie. Elle était parfaite ; je me sentais apaisé, comme si je retirais un lourd fardeau que j’aurais porté des années durant. Je souhaitais que cet instant se fige dans le temps et dure indéfiniment jusqu’à ce qu’enfin je daigne m’intéresser à la continuité de mon existence, et tant qu’à faire de la sienne aussi.

Le lendemain, une nouvelle semaine s’annonçait. Je la visualisais, l’envisageais sous plusieurs angles. Je comprenais progressivement que l’extrémisme dans lequel mes amis et mois avions sombré ne nous proposait qu’une vision unilatérale de la société, et des comportements que nous constations. Il existait, à côté de ça, une multitude de façon d’envisager les hommes, l’Etat, le pouvoir, le capitalisme, et l’évolution du monde en général. Nous pouvions encore croire en l’existence d’individus libres et éclairés, conscients de leurs actes, et non en un troupeau de moutons se suivant sans jamais savoir où ils vont. Je reprenais un peu espoir.

J’avais un peu peur aussi, de perdre tout ce que j’avais acquis. Je n’osais pas tout abandonner comme ça, sur un coup de tête. Je préférais continuer comme toujours, comme si rien n’avait changé, et me rendre compte moi-même, au fil du temps, de mes propres erreurs de jugement. Je voulais sincèrement, à ce moment là, m’être trompé et découvrir que le monde n’est pas si abominable que je le pensais.

En un temps record, alors que mes précédentes relations n’avaient absolument rien suscité en moi, cette jeune Aphrodite provoquait en moi une immense désillusion. J’avais tort, et elle avait raison.

Dix heures plus tard, mon réveil sonnait. Il fallait se lever, prendre le chemin de l’antre du savoir, croiser les mêmes regards que tous les jours, rire aux mêmes choses, médire sur les mêmes thèmes, choquer les mêmes personnes… Tout ceci me semblait désormais illogique et déraisonnable. Je me surprenais moi-même de la vitesse à laquelle mon esprit virait de bord.

Nous avons marché jusqu’à la faculté ensemble, puis nous sommes séparés, allant chacun rejoindre nos groupes d’amis respectifs ; moi je retrouvais mes amis narcissiques, stressés et populaires, tandis qu’elle avançait gaiement vers des gens agréablement simples, intelligents et agréables. Ils semblaient eux aussi étrangement en paix. Ils sont peut-être tout simplement tout le temps défoncé, ai-je pensé un moment, mais rien ne me poussait à le croire. Ils étaient justes plus humbles que nous devant l’évolution des choses, mais pas pour autant plus idiots.

Une dernière fois, je m’avançais vers elle, la prenait dans mes bras, et lui murmurait « bonne journée, Ô ma Juliette ».

Publié dans Littérature

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