Manuel de l'Etudiant Pompeux

Publié le par Scalix

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MANUEL DE L'ETUDIANT POMPEUX

Chapitre III - Les Gueux

On nous parle souvent d’un peuple français inculte, stupide, sans conscience politique, sans la moindre jugeote, sans le moindre esprit critique. Les gens visés par ces critiques sont regroupés sous divers qualificatifs, toujours plus dégradants. Pour nous, ce sont les gueux, tout simplement.

Le gueux, terme peu élogieux, concerne tous ces gentils moutons, qui apprennent diverses matières et professions sans jamais les comprendre. Ce sont les hommes et les femmes qui, pour beaucoup, sont au courant de pas mal de choses, mais qui ne comprennent rien, qui ne vont jamais au-delà de la simple information. En somme, ce sont des gens pour qui l’esprit critique relève plus de la légende que de la réalité, tant ils sont incapables d’en faire preuve.

L’étudiant pompeux ayant un semblant de respect pour ce qu’il est, à savoir un être détestable pour qui n’est pas comme lui, se doit justement de n’avoir ni estime, ni respect, ni même sympathie pour ces déplorables individus. De notre point de vue, le gueux est pire que l’ignare, qui lui ne sait rien, et peu donc légitimement ne rien comprendre du tout.

Certains d’entre nous se voient alors, en soirée lorsqu’ils refont le monde avec leur vision alternée par l’alcool et bien d’autres choses, pris d’une étrange paranoïa ayant souvent pour conclusion « mon dieu, ils sont partout… ». En ce qui nous concerne, la moquerie et l’irrespect total nous sauvent de la déprime, et il faut bien l’admettre, nous sommes ravis d’être plus intelligents que les trois quarts de la population mondiale, que dis-je, de sa quasi-totalité.

Le narcissisme exagéré s’avère être une excellente philosophie de la vie, vous poussant à esquisser un large sourire tous les matins, lorsqu’au réveil, vous vous apprêter à passer une journée de plus dans un monde de cons, et à vous garder de les sauver de ce triste destin. Hobbes l’a dit, « l’Homme est un loup pour l’Homme », et puisque le fait est d’hors et déjà établi, inutile de faire semblant. La mondialisation nous apprend que nous vivons dans une communauté mondiale ayant pour principe la loi du plus fort ; et pour la conquérir avant les autres, autant conserver judicieusement le moindre de ses avantages, l’intelligence avant tout.

Ces fameux gueux, on en retrouve pas mal dans notre faculté. Ce sont, pour certains, des paradoxes vivants. Inadaptés à la matière, incapables de saisir ses principes fondamentaux, incapables de faire preuve de connaissances, de culture générales, ils espèrent encore, sont présent à tous les cours, et tentent désespérément de réussir là où l’on s’y attend le moins.

Avoir une telle motivation lorsque l’on est immigré, méprisés par les français racistes, sans un rond et que l’on en veut à ce monde de riche qui n’accepte pas les plus démunis, là je veux bien, et j’apporte même mon soutient à ceux-là. Mais lorsque l’on est un gentil petit fils de famille bénéficiant d’un niveau de vie largement supérieur à celui de la « middle class », que l’on a toutes les chances du monde de bien gagner sa vie sans le mériter, à quoi bon s’acharner à subsister dans un milieu qui nous rejette ? L’envie de croire que, peu importe qui on est, avec un peu de volonté et de travail, on peut décrocher la lune. Encore une phrase toute faite pour berner la masse. J’aurais beau, avec mes résultats pathétiques et mon incompréhension des mathématiques, avoir toute la meilleure volonté du monde, jamais je n’aurais pu devenir astrophysicien. Fort heureusement, à l’inverse de ces imbéciles utopistes, je l’ai compris très tôt. Ainsi, on se rit de leurs ridicules espérances, tout en se gardant de leur exprimer notre point de vue. Un con de plus, c’est une personne de moins à qui il faudra mettre des bâtons dans les roues. Oui, il nous arrive d’avoir à abattre de potentiels rivaux, non sur le plan de la popularité (nous sommes invincibles), mais sur le plan des résultats. Les plus ésotériques de notre groupe tentent depuis maintenant quelques temps de comprendre les critères requis pour le passage d’une année à l’autre, et d’établir une analyse précise, décrivant les moyens les plus efficaces de valider ses années universitaires. Pour beaucoup d’entre nous, cela relève du mysticisme, du bon vouloir des chargés de TD, aigris par le niveau de notre génération, et enfin du goût du café des correcteurs de copies. Si l’on dit ça, c’est qu’il y a vraiment un problème. Le corps enseignant, mis à part quelques élus, parvenus à garder en mémoire le véritable enjeu de leur profession, a totalement oublié qu’au-delà des notes qu’ils donnent, ce sont des avenirs qu’ils distribuent. Nous sommes là, pour la plupart, avec l’idée de réussir notre vie, et pourquoi pas, d’entamer une carrière politico-juridique. Si leur café n’est pas bon, que les chargés de TD n’aiment pas tes formulation ni ta tête, et qu’ils décident d’agir comme d’irresponsables salauds le jour où ta copie est en haut de la pile à corriger, tu es mort.

L’Homme aime établir des lois générales, légitimant le comportement de son environnement. On a su expliquer de nombreux phénomènes naturels, on a su expliquer les comportements humains, et on se plaît à penser que, si on se plante, c’est qu’on ne pouvait pas réussir. La fatalité est tellement rassurante, pour ceux capables d’avoir une image dégradante de leur personne. Or, dans le cas présent, la seule explication est que le snobisme du juriste, syndrome que l’on constate chaque jour de manière massive, les pousse à être de véritables ordures élitistes, et à créer des taux d’échec atteignant les 70% chaque année. Quel est l’intérêt d’enseigner une profession, si c’est pour la refuser à sept personnes sur dix ? Quoiqu’il en soit, nous savons désormais que l’admiration de plus grand que sois (comprenez des chargés de TD, hommes et femmes qui, pour la plupart, ont loupé leur examen pour passer maître de conférence ; les étudiants en doctorat sont beaucoup plus humbles…dans la plupart des cas), la flatterie gratuite, l’illusion de nombreuses heures de travail, l’absence d’intelligence, d’espièglerie et d’esprit critique sont les meilleurs moyens d’avoir une scolarité post-bac des plus stable, pour ensuite exercer un métier des plus stable et des plus chiant. Tel est la destinée des gueux parvenus à s’adapter, et tel est le terrible sort du destin auquel nous avons décidé de faire face, avec élégance, charisme, prétention et préciosité. L’étudiant pompeux dominera l’enseignement snobinard, car nous lui avons déclaré la guerre.

Publié dans Littérature

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